2013/10/11

Porter le soupçon sur toute espèce de réussite : S'il y a de l'argent sale, il y a aussi de l'argent juste

La pauvreté n'est pas un crime", explique l'association Emmaüs dans une campagne publicitaire. Il faudrait ajouter : la richesse non plus.
C'est ainsi que Pascal Bruckner commence son papier dans Le Monde.
Le mauvais tour pris par l'affaire Cahuzac réveille chez nos compatriotes une vieille passion française, la haine de l'argent, née de la rencontre du catholicisme et de l'esprit républicain, et qui n'est la plupart du temps que de l'envie inversée. Comme si la soif de l'or se nourrissait de ce qu'elle enlève aux hommes, prostituait leurs rêves les plus chers.

 Paradoxe étonnant : la France n'entre dans le capitalisme mondial, surtout à gauche, que sous l'angle de la dénégation, à travers une débauche d'anathèmes qu'on aurait tort de prendre à la lettre mais qui font porter le soupçon sur toute espèce de réussite.

Au moment où l'on fustige le règne de l'argent, l'Europe s'appauvrit, notre pays subit chômage, marasme, austérité. Etrange monarque qui règne sur un désert. L'argent, c'est d'abord ce qui manque tragiquement : à l'Etat, aux particuliers et la principale terreur de nos compatriotes, c'est le déclassement social. En quoi l'ostentation dans la modestie pécuniaire chez nos ministres, soumis à la contrainte de transparence, ne dupe personne.

 … Dénoncer chez les autres ce que l'on incarne soi-même, telle fut l'inversion des valeurs à laquelle s'est livré M. Cahuzac. Mais il ne faudrait pas que cet exemple de duplicité nous entraîne dans une apologie de la pauvreté telle que la défendent les écologistes et certains économistes repentis. Nous demander de chérir l'indigence comme notre bien le plus précieux, vanter " la frugalité heureuse", c'est, sous couleur de sauver la planète, vouloir plier les populations à la nouvelle donne économique qui pénalise les classes populaires et moyennes.

Nous sommes déjà en décroissance, elle s'appelle la récession et n'apporte que détresse et malheurs. Ne commettons pas un contresens fondamental : ce n'est pas l'argent qui est fou, c'est son absence.
A vociférer contre le Veau d'or, semaine après semaine, alors que la France s'enfonce, à suspecter dans le moindre succès industriel ou commercial une spoliation ou un vol, on décourage les jeunes générations de travailler chez nous, on pousse les plus talentueux à s'exiler.

Plus grave que la fraude fiscale, la fuite des cerveaux menace directement notre avenir. L'esprit d'entreprise, l'appât du gain, n'ont en soi rien de honteux. S'il y a de l'argent sale, il y a aussi de l'argent juste.

2013/10/10

ENCORE UNE DEMI-MESURE !




Dans Le Monde, les pingouins Indégivrables de Xavier Gorce arrivent à la conclusion (on ne peut plus) logique…

2013/10/06

L'histoire française est jalonnée de protestations récurrentes contre l'impôt

Tandis que Xavier Gorce fait de l'humour dans Le Monde et que Mathieu Laine prône l'invention d'une "fiscalité librement consentie", Françoise Fressoz interroge le Chargé de recherche au Centre d'histoire de Sciences Po, Nicolas Delalande, auteur du livre Les Batailles de l'impôt (Seuil, 2011).

Mathieu Laine:
La France a mal à ses impôts. Tellement qu'engager la réflexion sur le consentement à l'impôt par l'actualité brûlante du "ras-le-bol" fiscal des Français est devenu tarte à la crème.

… il faudra sortir de la logique perverse selon laquelle il faudrait payer avec joie et sans limite l'impôt d'un pays qui nous a tant donné. Car l'effet Laffer – "Trop d'impôt tue l'impôt" – n'a jamais été aussi tangible et provoque un désastre économique et social mesurable en emplois supprimés et non créés ainsi qu'en points de croissance euthanasiés. Qui peut y consentir ?

Nous sommes confrontés à une alternative lourde : soit on prolonge notre modèle social généreux, qui sera pulvérisé par la révolution technologique, la compétition internationale, les pressions migratoires et la fuite des talents. Nous resterons alors prisonniers d'une fiscalité lourde, révélatrice d'une société envieuse faisant le pari de la naissance, des réseaux et de la rente comme sources légitimes des richesses futures.

Soit on revient aux fondements des incitations individuelles et des droits fondamentaux, à une société qui parie sur les efforts librement consentis de chacun comme moteur des revenus à venir. Il en émergera un pays moins redistributif, mais moins taxé et plus responsabilisé. Fort de cette liberté recouvrée, nous redonnerons ses capacités à la société civile, à la générosité privée et à l'inventivité humaine.

A quand une mobilisation massive pour une fiscalité basse, respectueuse des droits et des désirs de progrès ? En la matière, la bougonnerie de comptoir n'a jamais fait bouger un politique. Il faut dénoncer et révéler les effets pervers. Car en la matière, qui ne dit "maux" consent !
Françoise Fressoz interroge le Chargé de recherche au Centre d'histoire de Sciences Po, Nicolas Delalande :
On parle beaucoup aujourd'hui du "ras-le-bol fiscal", mais la méfiance à l'égard de l'impôt n'est-elle pas une constante ?

Nicolas Delalande Le rapport des Français à la fiscalité apparaît en effet beaucoup moins serein que celui qui s'est construit en Grande-Bretagne ou en Allemagne, par exemple. L'histoire française est jalonnée de protestations récurrentes contre l'impôt qui ont pris la forme, soit d'une dénonciation radicale de l'injustice fiscale, comme ce fut le cas sous la Révolution française, soit de contestations violentes émanant de tels ou tels groupes sociaux, comme on a pu le voir au début du XIXe siècle dans les campagnes, puis à quelques reprises au cours du XXe siècle. Ces contestations sont à relier à la haute idée de la justice fiscale que les Français se font et qui est apparue d'emblée comme une promesse déçue.

Que voulez-vous dire ?

Pour bien comprendre cette insatisfaction chronique, il faut remonter à la Révolution et aux déceptions qu'elle a créées. La question fiscale est alors essentielle. La royauté se meurt de l'impôt. Les multiples taxes directes et indirectes que les fermiers généraux prélèvent pour le compte du roi ne suffisent plus à payer la charge de la dette, mais elles sont devenues écrasantes pour les plus faibles. Dès les années 1760, la contestation monte contre l'impôt, devenu le symbole de l'arbitraire royal. La monarchie en prend conscience, mais elle est trop faible pour bâtir un nouveau compromis fiscal car le système repose sur une mosaïque de privilèges et d'exemptions.

La Révolution ambitionne de tout changer. Elle supprime la quasi-totalité des impôts d'Ancien Régime pour les remplacer par quatre nouvelles contributions directes. Elle proclame l'égalité du citoyen devant l'impôt, mais est incapable de tenir ses promesses, car très vite, la France se retrouve en guerre contre l'Europe. Napoléon a besoin d'argent. Il rétablit l'impôt sur ce qui est le plus facilement taxable : le sel, les boissons, la circulation des marchandises. C'est exactement ce que faisait l'Ancien Régime. L'impôt redevient impopulaire.

Et quand on balaie l'histoire depuis, on s'aperçoit que les Français n'ont eu un rapport apaisé à l'impôt qu'à de très rares moments : à la fin du XIXe siècle, lorsque la IIIe République, renonçant dans un premier temps à toute réforme d'envergure, utilise l'impôt de façon opportuniste pour alléger la charge de tel ou tel groupe social et développer une politique protectionniste. Puis, plus tard, pendant les "trente glorieuses" : la forte croissance et les mutations que connaît la France favorisent un rapport pacifié à l'impôt – poujadisme mis à part évidemment.

Hormis ces périodes, quels reproches fait-on à l'impôt ?

On lui a longtemps reproché d'être vexatoire et intrusif. Cela se disait beaucoup à la fin de l'Empire napoléonien, parce que tout un système de surveillance avait été mis en place sur le transport des marchandises. C'est aussi ce qui a motivé les mouvements de révolte de certaines régions rurales contre l'Etat central au milieu du XIXe siècle. Les élites ont rallié la France des petits propriétaires, des petits paysans, des indépendants, dans leur lutte contre l'emprise croissante de l'Etat. Mais au cours des années 1930, la contestation fiscale a pris une autre tournure : la dégradation des finances publiques, la prolifération de taxes qui rendaient le système illisible conjuguée à l'instabilité ministérielle ont donné naissance à un puissant mouvement antiparlementaire qui rejetait l'Etat, dénonçait la paperasserie, s'en prenait aux fonctionnaires en opposant "les payants" aux "payés".

Feriez-vous un parallèle entre les années 1930 et ce qui se passe aujourd'hui ?

Les similitudes sont évidentes. J'en vois au moins deux. D'abord, la politisation du mécontentement. La droite s'est emparée du sujet, elle prône "un choc fiscal", la décrue des dépenses de l'Etat, la réduction du nombre des fonctionnaires, sans avoir elle-même réussi à régler le problème lorsqu'elle était au pouvoir. Deuxième ressemblance : la focalisation sur les problèmes d'évasion fiscale, qui accrédite l'idée que tout le monde n'est pas logé à la même enseigne.